Depuis bien longtemps nous savons que nous sommes des privilégiés. Il suffit de voir l’afflux de la population qui rejoint nos côtes pendant les vacances. Parfois j’ai l’impression que cette foule est comme la carène liquide d’un bateau et que l’hexagone penche à l’Ouest de son axe en plein mois de juillet ! C’est pour ça que tout le monde dit qu’en Bretagne on a les pieds dans l’eau… Certes, nous sommes dans un paradis. Et puis, parfois, quelques événements nous rappellent que nous sommes en Bretagne. C’est à dire, une terre tempérée, où le vent venu de l’Ouest n’a rencontré aucun obstacle avant de toucher nos côtes, et qu’il a eu le temps de prendre des forces, filant à toute allure, un brin débridé. Comme chacun sait, la Bretagne et la côte atlantique en général, se trouvent prises dans un conflit qui se forme entre la dépression froide venue d’Islande et l’anticyclone des Açores. Il n’est jamais bon d’être au milieu de forces contraires.
Cette année, le chahutage a été plus précoce que prévu, et sans aucun doute parmi les plus puissants. En ville, quand le rideau de la fenêtre s’ouvre le matin, à part la couleur du ciel ou le bruit de la pluie, peu d’indices permettent de se faire une idée réelle du temps. En campagne, nous avons les arbres qui frémissent ou tremblent, l’herbe qui se couche, les goélands qui font du surplace, l’écume de la mer, le dessin de ses remous qui passent du frisottis à la houle profonde, le reflet d’un nuage sur une flaque, la couleur des feuilles, leur absence, les parfums… La nature est plus bavarde que le béton ! Alors, nous sommes à l’écoute des bulletins météo, sur les ondes publiques, même s’il n’y a plus la météo marine qui faisait voyager…Nous ne faisons pas cela pour le plaisir, pas uniquement pour savoir comment on va s’habiller le lendemain mais surtout pour savoir quel va être le programme de travail. Comme les agriculteurs surveillent la pluie, nous surveillons le vent, qui nous oblige souvent à changer ce qui était prévu. Nous avons également le nez sur l’annuaire des marées, car dans certains secteurs comme le nôtre (la Ria d’Étel), les coefficients vont avoir moins d’importance que le sens et la force du vent pour savoir si nous allons « voir les tables ». À vrai dire, pendant plusieurs semaines nous n’avons pas « vu les tables ». Si l’on ne voit pas les tables, c’est que l’eau n’est pas descendue assez. En ostréiculture, nous allons « à la marée » chaque jour. Quand c’est possible. Cela consiste à accompagner la mer en jusant (quand elle descend) pour accéder aux poches d’huîtres qui sont fixées sur les structures en fer à béton que l’on appelle « tables », puis à remonter en flot (quand la mer monte) puisque la marée va recouvrir les tables et que notre but n’est pas d’apprendre à nager.
La saison automnale, en plus de faire de jolies couleurs à nos forêts, est aussi le top départ de la saison ostréicole. C’est le moment pour nous de mettre en valeur le travail de 3 ou 4 années. Les huîtres vont pouvoir profiter des pluies qui vont drainer de la terre tous les sels minéraux et nutriments nécessaires à son meilleur développement. Avec les phytoplanctons encore nombreux jusqu’en octobre, les huîtres reprennent toutes leurs forces après la période de reproduction (juillet août), et supporteront très bien l’hivernage (fin octobre à fin février) où les eaux marines seront moins riches en nourriture. Les coups de vent ont le bénéfice d’apporter beaucoup d’oxygène à l’eau, une sorte de régénération du milieu. Ils peuvent dégrader certaines installations sur le littoral, que ce soit sur le domaine public maritime (DPM) ou pas. Ce qui est le cas de nombreux collègues dans d’autres zones que la nôtre. En ce qui nous concerne, les phénomènes de dépression avec surcote de marée, ne nous sont pas inconnus. Notre chantier et nos parcs sont sur le DPM et donc il est « normal » d’avoir de l’eau de mer qui vient dans les bâtiments. Nous agissons en fonction des alertes données par les services de l’Etat, et nous mettons en sécurité tout ce qui peut l’être en cas de submersion. La Ria est une sorte de petite mer intérieure et la houle n’y sera jamais aussi forte qu’au large, ce qui fait que pour l’épisode Ciaran, Domingo et consorts, rien à signaler si ce n’est cette panne de courant qui nous a fait relativiser pas mal de choses. Potentiellement, les forts courant et cet énorme volume d’eau ont pu aider à nettoyer la végétation marine estivale qui pouvait rester stagner dans les endroits très en amont, une sorte de lessivage du milieu. L’inconvénient majeur a été de ne pas pouvoir travailler en mer, y compris à cette fausse basse mer puisque nous avons toujours eu de l’eau jusqu’au nombril, et jusqu’aux coudes pour lever ou poser des poches. Le vent ne nous a pas permis de prendre le chaland aussi souvent que nous l’aurions espéré non plus, car la première règle du marin est celle de la sécurité : les bateaux sont à fond plat, nous naviguons souvent en crabe car la prise au vent de ce qui est sur l’eau l’emporte, et nous ne valons pas grand-chose face aux éléments déchaînés. Notre métier est donc la nécessaire acclimatation à notre environnement, que l’on ne maîtrise pas aussi bien qu’une panne matérielle. En plus on est mauvais bricoleurs. Le temps qu’il fait est notre quotidien. Dans la commune où vivaient mes grands-parents, une commune en plein centre de nulle part dans les Monts d’Arrée, on ne disait pas bonjour quand on se croisait au détour d’un chemin. On disait : « ‘fait beau hein ? » Le temps nous fait et nous défait.